Une jeunesse en mutation : des baby-boomers contestataires à une génération X apathique ?
Les années 60-70, marquent, pour Jean Duvignaud, la naissance d’une « planète jeune » (1) que l’on définit davantage par ses problèmes que par des caractéristiques qui lui seraient propres. Preuve en est de l’abondante littérature produite post-mai 68 avec une vision trop souvent stéréotypée de l’engagement militant de la jeunesse assimilée à une « classe d’âge naturellement contestataire » (2), la presse participant également de cette représentation sociale avec, par exemple, la parution d’une rubrique quotidienne dans le journal Le Monde intitulée « Agitation » entre 1968 et 1974, entretenant le mythe d’une jeunesse gauchiste.
Laurent Lardeux explique « les évolutions socio-historiques de l’engagement des jeunes » (3) des années 70-80 par des actions au caractère plus syndical qu’associatif. En effet, ce type de mouvement ciblait des causes propres au contexte politique et social telles que le féminisme ou le nucléaire par exemple ; il s’agissait de « militantisme partisan » (4).
La génération X se situerait entre les baby-boomers et la génération Y. Elle serait née entre 1966 et 1976, selon la classification de Strauss et Howe (5). D'autres spécialistes la définissent par la période entre 1963 et 1981 (6). L'expression « génération X » a d’abord été utilisée en démographie, puis en sociologie et en marketing. Dans les années 80, l’image contestataire de la génération des années 70 se renverse au profit d’un « repli » (7) de la jeunesse dont les actions diminuent, mettant à mal la représentation sociale d’une jeunesse homogène. Parallèlement, la massification des études et la diversité des parcours académiques (étudiant salarié, étudiant boursier, étudiant à l’étranger, etc.) vient renforcer l’idée d’une identité étudiante en décomposition.
Cependant, certains sociologues tentent de définir cette génération X, tour à tour caractérisée d’« apathique » ou de « dépolitisée » (8). M.-B Lorizon parle d’un étudiant « politiquement frigide et syndicalement non concerné » (9). Conan explique que « C’est à ce moment, lorsque la jeunesse ne porte plus le drapeau de la révolte » (10) qu’elle va s’engager dans des associations autour de thèmes humanitaires. Cependant, Coignard et Makarian soulignent encore que la « politique politicienne », la « génération morale » (11), liée au mouvement étudiant et lycéen de novembre et décembre 86 est encore comparée avec le mouvement de 68 par les médias et les chercheurs véhiculant l’image d’une génération « 86 » individualiste en opposition à celle de « 68 » plus solidaire.
De la difficulté à définir et à comparer les générations entre elles
Nicolas Carboni doute de la pertinence d’une « tentative permanente de relier deux phénomènes temporellement et idéologiquement distants, et de juger l’un selon les valeurs et les codes de l’autre » (12). Effectivement, il apparaît inutile de comparer les générations entre elles mais plutôt de comprendre l’héritage d’une jeunesse passée ayant influencé les travaux de recherche et articles journalistiques et à nous détacher d’une définition de la jeunesse qui se voudrait intemporelle.
Il apparaît finalement que le milieu associatif étudiant bouscule les consensus sociaux en matière d’engagement collectif des individus. En cela, 4 apports majeurs du mouvement associatif étudiant actuel peuvent être distingués:
1. L’engagement associatif étudiant évolue sans complexe selon le contexte social,
2. Une « communauté d’expériences » plutôt qu'une génération Y/Z uniforme,
3. Un engagement plus humaniste,
4. Des institutions qui s’impliquent davantage dans l’accompagnement des associations étudiantes.
L’engagement associatif étudiant évolue sans complexe selon le contexte social
Des causes différentes liées au contexte social poussent les étudiants des différentes générations à se mobiliser différemment : un temps militant, un temps adhérent ; avec des outils différents: politico-national pour les baby boomers, plus local avec des micro-projets pour les Y/Z. Ces résultats ne sont pas à comparer mais à mettre en rapport avec des événements historiques pour en dégager les facteurs évolutifs de l’engagement des jeunes pendant leur temps d’études.
Ainsi, pour les baby boomers, la politisation du milieu associatif a été dépassé par la mort de l’U.N.E.F et l’explosion croissante du nombre d’étudiants ayant pour conséquence le morcelage du mouvement associatif étudiant: entre les années 60 et aujourd’hui, on a assisté à une transformation de la société qui s’affirme dans un développement du capitalisme à l’échelle planétaire, par un accroissement de la place de l’information, et une extension de la prise en compte de l’individu.
Dans le même temps, on a assisté à une transformation des formes de l’engagement collectif. Il se construit désormais dans un rapport pragmatique et quasi-immédiat entre le but à atteindre et l’action réalisée : on attend des résultats concrets visibles, dans un délai raisonnable, voire restreint.
Aujourd’hui, au sein d’un groupe tel que peut constituer une association étudiante, l’individu ne s’exprime plus comme membre d’un groupe, mais comme élément autonome participant. De manière globale, la baisse continue du syndicalisme trouve comme corollaire une croissance du poids des associations dans la société, par le développement notamment de micro-projets.
Une génération Y/Z qualifiée de « communauté d’expériences »
Selon les sources, la génération Y serait globalement née entre 1978 et 1994 et la génération Z à partir de 1995. On peut regrouper ces 2 générations autour des liens qui les unissent, à la manière de Devriese dans son approche sociologique de la génération, pour les plus jeunes de la génération Y et pour les plus anciens de la génération Z par une expérience commune qui est, par exemple, l’utilisation des TIC. Cette expérience leur confère une capacité de communication qui leur donne une compétence d’impulsion et de changements, par les connaissances accrues qu’elles induisent pour les bénévoles étudiants. C’est pour ces raisons que nous pouvons parler de « communauté d’expériences » concernant la génération Y/Z.
Un engagement Y/Z plus humaniste
Des valeurs nouvelles se font jour, privilégiant l'identité, l'affectif, la responsabilité inter-individuelle et le relationnel à l’échelle de chaque individu. Selon Jacques Ion, L’engagement est plus détaché, l’étudiant adhère plus qu’il ne milite. Cela s’explique notamment par la tendance au zapping, les étudiants nécessitant des résultats rapides, d’un investissement moins chronophage et plus réversible, ils souhaitent pouvoir se désengager dès lors que l’environnement ne leur est pas favorable car ils sont désireux de garder une certaine indépendance et ne souhaitent pas qu’on s’exprime à leur place. On le voit dans l’analogie avec le profil consommateur puisque les études (Xu et Heitz-Spahn) ont montré que les étudiants sont peu influencés par les discours commerciaux mais davantage par leur communauté. De même, des études convergent pour définir une génération Y/Z plus attachée à la cohérence entre les valeurs et l’action dans le travail et à la mise en œuvre de réalisations plus humanistes et respectueuses de l’environnement social et naturel.
Des institutions qui s’impliquent davantage dans l’accompagnement des associations étudiantes
Dans les écoles privées d’abord, l’"engagement" devient obligatoire : on affecte des crédits ECTS car les projets associatifs forment les étudiants sur le terrain (management de projet). Dans les universités, les étudiants sont encouragés à s’engager du fait d’un nouveau décret daté du 11 mai 2017 leur permettant de disposer de plus de temps pour leurs activités associatives et que celles-ci fassent partie de leur parcours académique.
Il y a donc un changement notable dans la perception de l’engagement étudiant par les pouvoirs publics d’abord (publication de décrets, concours, fonds financiers) et les acteurs de l’enseignement supérieur ensuite (accompagnement du personnel pédagogique, participation à des classements de meilleures associations, attribution de locaux,…).
La pédagogie au service de l'engagement
En tant que pédagogue et afin de favoriser l’engagement des étudiants et faire en sorte de maximiser leur implication et leur participation dans les activités associatives, je recherche les conditions nécessaires pour leur permettre de développer leur propre motivation selon le sens qu’ils souhaitent donner à l’activité associative. Pour cela, j’utilise deux pédagogies complémentaires: la première est participative, ou active, permettant aux étudiants de différentes spécialités de combiner leur expertise pour mener un projet nécessitant une double connaissance. Cela les incite à partager leurs connaissances et à produire un résultat concret (produit).
Ma deuxième approche pédagogique consiste à favoriser un maximum les initiatives et l’autorégulation du groupe et des échanges entre participants. J’ai ainsi adopté une posture d’animatrice (facilitatrice) pour n’intervenir que pour réguler les échanges ce qui leur a permis de trouver eux-mêmes et entre eux les solutions aux problèmes et questions posés. Cette animation non-directive couplée à une pédagogie participative a constitué un pilier fondamental de mon management adapté au profil et compétences de chacun a ainsi pu gagner en implication de la part de ses membres.
S’attacher à se pencher sur les motivations étudiantes associatives permet de meilleures gratifications tant au niveau des membres de la communauté (pairs), créateurs de valeur, qu’au niveau des responsables académiques (institution), pourvoyeurs d’outils de formation.
Ainsi, s'épanouir à l'école par le biais d'activités qui font sens trans-forme durablement la manière de manager/développer ses projets personnels et professionnels en ajustant ses stratégies au fil de l'eau.
Quelles Perspectives ?
Concernant les perspectives de recherche, je parlerai ici, au regard de mon objectif d’accompagnement de la force associative étudiante et de la nécessité de partir du concept de génération, ou de communauté d’expériences, de la prospective générationnelle des formes d’engagement, c’est-à-dire de préfigurer quels pourraient être les futurs formes d’engagement étudiant à partir des éléments de recherche actuelle.
L’ouverture sur l’altérité et la construction d’un rapport plus responsable au monde constituent les principales orientations de ces nouvelles structures.
Elles se démarquent notamment des autres organisations du monde social par une importante et précoce utilisation d’Internet, comme outil de structuration des réseaux ainsi que comme vecteur de construction de projet.
De part leur fort taux d’équipement en matière de T.I.C., on peut attester que les associations étudiantes disposent d’une avance notable sur les autres associations dirigées par les générations plus anciennes.
Il serait donc intéressant de partir de ce constat pour tenter d’imaginer quelles pourraient être les formes d’engagement associatif étudiant de demain et ainsi anticiper l’accompagnement pédagogique pour un meilleur management de la force associative, au bénéfice des étudiants et de la société dans son ensemble.
Nous pourrions par exemple reprendre les théories de Marcel Mauss pour penser la coopération en termes de don sur les plans horizontal et vertical dans une perspective heuristique.
Si les mots de Georges Bernanos résonnent ici: « c’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à température ambiante. Quand la jeunesse refroidit, le reste du monde claque des dents », les mots mêmes d'étudiants des années 60 résonnent encore plus fort dans le contexte actuel que nous connaissons:
(Dans leur enquête sur la jeunesse, Davranche et Fouchard demandent aux jeunes des années soixante s’ils veulent de cet avenir que la société leur offre et s’ils veulent aider à le construire. Tout en répondant par l’affirmative, les jeunes expriment quelques réserves):
« A la société encadrée nous opposons la société animée. A l’ère des « organisateurs », nous opposons l’ère des animateurs. Aux méthodes fermées, de structuration rigide, nous opposons des méthodes ouvertes de gestion décentralisée, pour une vraie dynamique de l’homme. Aux structures formelles de contrainte et d’asservissement nous opposons des structures animées d’épanouissement et de participation. »
[1] Duvignaud J. (1975) La Planète des jeunes. Ed. Stock, Paris, 348p.
[2] Weber H. (1988) Que reste-t-il de mai 1968? Ed. Seuil, Paris, 220p.
[3] Lardeux L. (2016) Les évolutions contemporaines de l’engagement des jeunes : fossilisation et fertilisation, dans M.-M. Gurnade, C. Ait-Ali Editeurs, « Jeunesse(s) sans parole(s), jeunesse(s) en parole(s) », Ed. L’Harmattan, Paris, p.107-119.
[4]Ibid.
[5] Strauss W. et Howe N. (1991) Generations: the history of America’s future, 1584 to 2069, Harper Collins, 544 p.
[6] Bickel J. et Brown A. (2005) Generation X: Implication for Faculty Recruitment and Development in Academic Health Centers, Academic Medicine, Vol. 80, n°3, p. 205-210. [7] Dubet F., Filâtre D., Mariem F.-X., Sauvage A. et Vince A. (1994) Universités et villes, Volume 1, Ed. L’Harmattan, Paris, 320p.
[8] Muxel A. (1996) Les Jeunes et la politique. Ed. Hachette, Paris, 137p.
[9] Lorizon M.-B. (2003) La Jeunesse dans L’Express et Le Nouvel Observateur de 1976 à 1983. Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université Blaise-Pascal, Clermont-Fd.
[10] Conan E. (1979) Une génération sur la défensive, Esprit, Vol.9-10, n°33-34, p171-181. [11] Coignard S. et Makarian C. (1986) La génération du pragmatisme, Le Point, n°742, 8 déc. 1986.
[12] Carboni N. (2006) Regards croisés sur la jeunesse engagée des « années 68 » (1968-1986), Revue du Centre d’Histoire Espaces et Cultures, Vol.24, n°2006 Regards Croisées sur la jeunesse, p. 75-88.
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