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Learning by being: des compétences émotionnelles indispensables pour un nouveau paradigme sociétal.



Une société tiraillée entre l’exigence de performance et le développement d’une économie au service du bien-être.

La massification des études et la diversité des parcours académiques (étudiant salarié, étudiant boursier, étudiant à l’étranger, étudiant en reprise d’études, etc.) vient renforcer l’idée de la nécessité des entreprises d’accueillir de nouvelles compétences. A l’heure actuelle, les établissements d’enseignement supérieur restent tiraillés entre deux paradigmes: d’une part, celui du récit néolibéral dominant de la maximisation du profit et de la croissance sans fin, incarné par l’article de 1970 de Milton Friedman dans le New York Times, de l’autre, le modèle qui commence à prendre forme d’une économie au service du bien-être et de la dignité pour tous (Rapport du secrétaire général des Nations Unies, 2013).


Dans ce contexte où la notion de performance financière reste une matrice fondamentale, les étudiants sont acculturés à l’importance de l’action managériale comme clé de la réussite. Cela se fait cependant souvent au détriment d’une réflexion plus profonde sur le sens de l’action, les étudiants étant baignés dans le « doing » (Anzai & Simon, 1979) au détriment du « being ». A l'heure où le monde nous impose une remise en question collective de notre impact sur son environnement global (société, économie, environnement), la question de la place de l'éducation dans ce challenge est centrale et il apparaît nécessaire de mettre en avant l'"être" plutôt que l'"avoir" afin de "faire" ensuite en fonction des aspirations de l'humanité.


L’apprentissage du management a évolué en même temps que la société et les profils générationnels. La fin de l’héritage d’une vision de l’homme issue du 19è siècle et du taylorisme a vu l’apparition du mode projet et du Lean Management (Liker & Convis, 2011). Les formes d’apprentissage ont donc évolué en même temps avec une approche désormais plus participative et active illustrée par le tableau ci-dessous (Bootz, 2012).


Un nouveau paradigme sociétal et économique pour de nouvelles compétences.

Le terme « compétences » regroupe à la fois des connaissances (savoirs), des habiletés (savoir-faire), des aptitudes (capacités techniques) et des qualités personnelles développées au fil de nos expériences personnelles, sociales et professionnelles (savoir être). Ces différentes compétences relèvent des domaines cognitif, interpersonnel et intrapersonnel. De nombreuses études ont cherché à déterminer les compétences nécessaires au 21e siècle.


Le Forum économique mondial a diffusé une liste des dix compétences les plus recherchées en 2020, dans le rapport The Future of Jobs (2016). Cette liste a été établie à partir de la consultation de responsables de ressources humaines de grandes entreprises. La créativité est devenue l’une des principales compétences en 2020, afin de faire face à l’arrivée massive et rapide de nouveaux produits, de nouvelles technologies et de nouvelles façons de travailler. L’intelligence émotionnelle apparaît aussi dans le top 10 des compétences recherchées pour faciliter l’intégration des employés dans un contexte de travail plus collaboratif, international, et virtuel. D’autre part, l’IFTF, l’Institute For The Future, siège de l’innovation en Californie, déclare que les emplois très spécialisés « mono-compétences » sont en déclin et nomment l’intelligence sociale, l’innovation et l’adaptabilité, la souplesse d’esprit, la gestion de la charge cognitive ou encore la collaboration virtuelle comme quelques unes des dix compétences nécessaires à développer.


En 2014, Alain Fouché, dans le rapport d’information du Sénat intitulé « Quels emplois pour demain » écrivait (p.44) : « le futur des formations, et donc des travailleurs de demain, reposerait sur des « soft skills », (…) faits de « pensée critique, résolution de problèmes, créativité, savoir-faire, esprit collaboratif, entrepreneuriat, autonomie », pour assurer « l’adaptation de l’individu à des postes potentiellement très différents et donc les moteurs de l’employabilité ». Les nouveaux rapports au travail, la conscience globale de la fragilité de notre environnement, la digitalisation et robotisation bousculeront nos modèles traditionnels et les formes de nos emplois et nécessitent déjà l’adaptabilité des programmes de formations (cf. tableau ci-dessous de l'émergence de nouveaux modèles en réponse aux nouveaux défis organisationnels (Ménard, 2015)).

Développement des compétences : des outils pour évaluer et s’adapter.

Une approche de plus en plus déployée dans le monde est le mode d’enseignement «STEM» (Sciences, Technology, Engineering, Arts, Mathematics). À l’origine, il s’agissait de favoriser l’interdisciplinarité entre les matières scientifiques, par des exercices appliqués, en lien avec le monde réel. D’ailleurs, c’est Comenius (1592-1660), l’un des fondateurs de la pédagogie différenciée, qui a l’idée d’une école dont la transmission du savoir doit être adaptée pour lutter contre l’échec scolaire et l’exclusion (Krotký, 1984). Les initiatives récentes s’inspirent donc de sa pensée et ont cherché à incorporer les disciplines artistiques afin d’aller plus loin dans l’enseignement (STEAM : A pour ARTS): l’objectif est de montrer aux élèves comment des concepts techniques sont directement liés à des situations du monde réel, et de leur fournir des outils pour qu’ils puissent appliquer ces concepts dans d’autres contextes.


Depuis près de dix ans, la communauté internationale porte une attention croissante à la définition des compétences indispensables à l’ère numérique. En 2009, un document de travail de l’OCDE incitait les gouvernements à cerner les habiletés et les compétences du 21e siècle. Depuis, des réflexions ont été initiées à travers le monde. Un exemple évocateur de l’avancée des réflexions est l’ajustement du cadre de compétences pour le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA : Programme for International Student Assessment). Il s’agit d’une enquête qui a lieu tous les trois ans afin d’évaluer dans quelle mesure les élèves possèdent certaines des connaissances et compétences essentielles pour participer pleinement à la vie de nos sociétés modernes.


Par ailleurs, les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) favoriseraient la capacité à développer ces compétences dites “floues’ (soft skills). En effet, selon Lebrun (2015), la révolution numérique permet de mettre l’apprenant en projet («self-learning») favorisant le développement de mécanismes cognitifs à la fois hétérorégulateurs (évaluation les pairs) et autorégulateurs. L’apprenant devient par conséquent acteur de sa démarche d’apprentissage («self-evaluation»), développant un «engagement organisationnel», composante de l’intelligence émotionnelle et favorable à la prise de décision (Goleman, 1997). Toutefois, si l’évaluation de ces mécanismes cognitifs reste difficile à concevoir, elle constitue un levier prometteur à l’émergence d’apprentissages individuels et collectifs porteurs de sens.



Quelle place pour les émotions dans les apprentissages ?

Les émotions jouent un rôle clé dans tout processus d’apprentissage en agissant sur la capacité de mémorisation de l’apprenant, sur sa rétention de l’information et sur son attention (Christianson, 1992 ; Finkenauer, Luminet et al., 1998). Il existe un lien fort entre les émotions et certains processus cognitifs comme l’attention, la mémorisation ou encore la prise de décision, leviers indispensables de l’apprentissage. Il a été prouvé que les émotions positives augmentent les performances de l’apprenant en activant les mécanismes de l’attention sélective, facilitent les souvenirs d’événements et d’expériences à long terme (Brosch et Al., 2013). Afin de créer les expériences apprenantes les plus réussies, il convient de s’intéresser aux émotions qui permettent l’implication des participants lors d’une formation.

C'est bien parce que nos émotions sont en parties conscientes et inconscientes (Ledoux, 1999) que notre esprit peut être trompé, au point d'accepter un univers comme réel, alors qu'il ne l'est pas. De nombreux paramètres sont déterminants dans la notion de présence. Ils ont été définis comme le volume de relations sociales, le degré de réalisme, la notion « d’être ici » et de « c’est ici », et la perception de l’immersion (Lombard, 1997).

Les émotions et la performance au cœur des apprentissages, une conciliation possible

Dominique Steiler, créateur de la Chaire de recherche et d’enseignement «Paix économique, Mindfulness, et bien-être au travail », explique : « La “mindfulness” est très prisée dans la Silicon Valley, mais je bondis devant l’effet de mode et l’usage qui peut en être fait : le but est de développer le bien-être au travail, pas d’augmenter la performance des salariés, même si on peut penser qu’il y a un lien ». En effet, on peut légitimement se poser la question des possibles écarts de la pratique initiale de Pleine Conscience (PC) et des profits liés à la recherche constante de performance pour le profit, en termes pécuniaires.


Le cycle vertueux de l’engagement, mis en évidence par les travaux s’appuyant sur la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2002) répond aux trois besoins psychologiques fondamentaux que sont le sentiment d’autonomie, de compétence et de lien social. Choisir de mettre en œuvre des actions cohérentes les unes par rapport aux autres et en lien avec ses propres valeurs renforce le sens donné à ses projets, donne confiance en ses compétences et renforce le lien social.

Les décisions requièrent des émotions autant que la pensée et l’intelligence émotionnelle ne sont pas le fruit d’un système cognitif différent de celles mesurées par le quotient intellectuel, elles en sont des constituantes (Damasio, 1995). La nature de la relation entre émotion et cognition peut être étudiée à travers des dissociations avec des activités cognitives plus spécifiques comme l’attention ou la mémoire. Pour tester des hypothèses de dissociations fonctionnelles, il pourrait être utile d’étudier comment la structure de traitement de l’information de l’émotion est implémentée dans l’organisation physique du cerveau en lien avec la cognition. Les neurosciences apportent un éclairage intéressant à ce sujet.

Performance : entre mécanismes cognitifs et développement du quotient émotionnel

Une règle maîtrisée ou un mécanisme cognitif répété n’est pas forcément bien appliqué dans un problème donné. Tel est le constat de Crahay et Detheux (2005) qui mettent en relief l’importance du processus métacognitif dans la résolution de problèmes complexes. L’acquisition des savoir-faire trouverait donc sa place dans la représentation que l’apprenant a d’un problème complexe. Compétence majeure recherchée par les entreprises en 2020, il apparaît pertinent de comprendre et d’évaluer la façon dont les élèves élaborent une stratégie pour résoudre un problème.


Si la science cognitive peut expliquer comment l'esprit d'un étudiant peut résoudre un problème mathématique, par exemple, elle ne peut cependant pas expliquer pourquoi ce même étudiant a peur d'échouer à son examen, et pourquoi il décidera, contre toute attente, de ne pas se présenter à celui-ci... Comme le montre Goleman (1995), le succès et la réussite sociale ne dépendent pas seulement du QI (Quotient Intellectuel) mais aussi du QE (Quotient Emotionnel). Les résultats de ces travaux s'expliquent par les liens physiologiques importants existants entre les bases limbiques du cerveau et les lobes cognitifs, sensoriels mais aussi réflexifs du cerveau (Ledoux 2005). Ainsi les cognitivistes rejetant l'idée d'émotions réfléchies et rationnelles, ont sans doute tiré des conclusions hâtives. Joseph Ledoux (2005) dit à ce sujet: « Il est temps maintenant de remettre la cognition dans son contexte mental, de l'associer à l'émotion au sein de l'esprit ».

La gestion des émotions et de la présence est nécessaire dans les apprentissages.

Csikszentmihalyi étudia pendant plus de quarante années les groupes spécifiquement créatifs des artistes et des scientifiques pour essayer de déterminer ce qui semble les rendre plus heureux. Après l'analyse de nombreuses interviews, il constata que l'essentiel de ce sentiment réside dans des moments d’extases intellectuelles (Csikszentmihalyi, 1998). C'est précisément en ce sens que le « Flow », ou « flux », décrit par Csikszentmihalyi semble être un élément psychologique intéressant du chemin qui peut mener à la présence en situation d’apprentissage. Dans l'analyse des différentes interviews réalisées à travers le monde pendant quarante ans, sept points identiques ont été relevés dans le sentiment d'être dans le « flux ». Ces différents points sont les mêmes, quelles que soient la culture, l'activité ou l'éducation des personnes interrogées :


- Etre complètement investi dans ce que l'on fait. La concentration et l'attention doivent être totalement engagées dans la réalisation de la tâche.

- Un fort sentiment d'extase intellectuelle, et le sentiment d'être ailleurs que dans le quotidien.

- Une grande clarté intérieure, savoir instantanément ce qui doit être fait et comment le faire.

- Savoir ce que l'activité requiert comme compétences et savoir que nos compétences sont adéquates à ce qui doit être fait.

- Un sentiment de sérénité, ne pas s'inquiéter de soi, et avoir le sentiment de croître au dessus des limites de son ego.

- Perte de la notion du temps, les heures semblent être des minutes.

- Des motivations internes, ce que produit le « Flow » devient un objectif personnel.




Les impacts de la mindfulness sur les apprentissages

L'étude d'Ostafin et Kassman (2012) indique un impact positif de la PC (Pleine Conscience) sur la résolution de problèmes. L'effet stimulant de la PC sur la capacité cognitive en termes de mémoire de travail (Roeser et al, 2013) et d'intelligence fluide (Gard et al, 2014) augmente la capacité d'évaluation des modèles et des relations. Baehr (2013) présente la nécessité de l'attention et de la réflexion comme fondamentales pour l'apprentissage tout au long de la vie, établissant des liens clairs avec la façon dont l'attention peut ajouter de la valeur. La conscience de soi objective et la conscience de son environnement encouragent l'autoréflexion et l’auto-évaluation. La régulation émotionnelle résultant de la PC (Glomb et al, 2011) influe sur la vertu intellectuelle: ainsi, le comportement social (Reb et al, 2014), l'empathie (Dekeyser et al, 2008), le respect (Singh et al, 2006) et la compassion (Condon et al, 2013) sont autant d’attributs renforcés par la pratique quotidienne de la PC.


Aujourd’hui, il existe encore peu d’études sur ses effets dans le contexte des organisations (Good D., Lyddy C., Glomb T. et al., 2016). Sachant que les entreprises ont besoin de faire évoluer leurs pratiques commerciales et managériales pour affronter les challenges du 21e siècle, participer à l’intégration de pratiques de méditation au sein d’un programme de formation parait être une aventure passionnante qui pourrait contribuer à former les futurs managers.


L’éducation a un impact bien plus profond sur la vie des individus que ne le suggèrent certains indicateurs comme la rémunération professionnelle ou la croissance économique. Gendron (2004) propose une évaluation élargie de l’impact de l’éducation en y intégrant les compétences émotionnelles, l’amenant à suggérer le concept de capital émotionnel, c’est-à-dire « l’ensemble des ressources – renvoyant aux compétences émotionnelles – inhérentes à la personne, utiles au développement personnel, professionnel et organisationnel… » (Gendron, 2004). Il apparait donc intéressant d’analyser les liens entre apprentissage, capital émotionnel et bien-être afin de dégager un processus ayant pour objet de produire des outils présentant un intérêt pour la définition des orientations futures.


Si aujourd’hui, l’étudiant, le salarié, le chômeur, peut changer facilement d’employeur et se former tout au long de sa vie, si tout est plus, mieux et rapidement accessible qu’avant, alors ses choix et possibilités sont bien plus larges que celles des générations antérieures: il jouit de la liberté de choisir sa vie professionnelle qui siérait sa vie personnelle. Il peut se former tout au long de sa vie et apporter, de manière transversale, de la pédagogie à son management, et du management à sa pédagogie.

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