Bien sur je me suis demandé pourquoi la maladie me tombait dessus si jeune, qu’avais-je bien pu faire pour l’attraper ? D’ailleurs l’avais-je recherchée ou m’avait-elle agrippée au coin d’une rue un jour où elle s’ennuyait ?
Je suis alors en charge de la vie associative étudiante d’une business school parisienne lorsque Anne, qui partage mon bureau, me demande avec humour d’arrêter de lui faire des clins d’œil toute la journée. Je ne me rendais pas compte qu’il s’agissait d’un signe avant-coureur, parmi tant d’autres, d’une paralysie partielle du visage qui arriverait quelques jours plus tard. Heureusement, je vivais chez ma mère à cette période lorsque la maladie se déclencha violemment.
Je cru à un accident vasculaire cérébral ou quelque chose de ce type. D’ailleurs, j’étais peut-être en train de mourir, mes jambes étant endolories, comme tout le reste de mon corps, par une tension musculaire aussi soudaine qu’inconnue. Bien sur je me suis demandé pourquoi la maladie me tombait dessus si jeune, qu’avais-je bien pu faire pour l’attraper ? Aussi, l’avais-je recherchée ou m’avait-elle agrippée au coin d’une rue un jour où elle s’ennuyait ? Ce serait une question à développer dans une autre partie de ce voyage.
A chaque pas j'arrive.
Famille, collègues et amis de toujours furent présents et réconfortants, m’appelant et me visitant quotidiennement. Je décidais d’emménager seule très rapidement fin novembre 2013. C’était une façon pour moi de me prendre en main, de poursuivre ma vie et de ne pas infliger à ma mère une inquiétude quotidienne, bien qu’évidemment, elle fût inquiète. Je faisais un pied de nez à la maladie en habitant au 5ème étage sans ascenseur car il était hors de question que je me projette dans un quotidien fait d’ascenseurs et de béquilles. Bien qu’incertain, je refusai que l’avenir décide pour moi et je voulais marcher autant que possible et à chaque fois que je le faisais – et que je le fais encore – c’est une victoire. Plus tard, je lus ceci qui caractérisait ma force de caractère au début de la maladie : « Nous n’avions pas besoin d’arriver là-haut ; nous étions arrivés à chaque pas, dans la paix, le calme, la solidité et la liberté ». Ces mots de Thich Nhat Hanh (2016) résonneront toujours plus fort dans ma vie car à chaque pas, j’arrive.
Une force de caractère s’était donc sympathiquement glissée dans mon introspection. Cette force fut mise à rude épreuve lorsque je débutai un traitement aux interférons en janvier 2014. Une infirmière me montra les gestes à faire pour injecter, une fois par semaine, la solution par piqûre intra-musculaire dans la cuisse. Je faisais moins la fière la piqûre à la main, seule, tous les vendredis soirs !
Aucun traitement médical ne permet de revenir de Sepanie mais il favorise un voyage plus doux. Cependant, cela ne va pas sans effets indésirables. Ce point d’étape hebdomadaire du vendredi mettait ma vie entre parenthèse pour 2 jours: un effet indésirable caractérisé par un état grippal de quarante-huit heures me mettait à plat pour le week-end, toutes les semaines pendant quinze mois. Autant dire que je débutai chaque semaine de travail épuisée (et moche !). Ma vie sociale n’existait quasi plus mon lit devenant un graal suprême.
la Sepanie de 2015 est un voyage plus agréable que celui vécu par nos aînés qui ne bénéficiaient pas d’une recherche avancée sur le sujet.
Je faisais quelques poussées aggravant le nombre de mes lésions situées sur mon système nerveux central (cerveau et moelle épinière). Cela dura un peu plus d’un an ponctué de fatigues écrasantes et de courants électriques désordonnés lorsqu’un nouveau traitement – des cachets ! – arriva en mars 2015. Il en fut finit des piqûres et des états grippaux. Il m’arrivait simplement d’avoir des bouffées de chaleurs et des plaques rouges, tous les jours, pendant vingt minutes, une bagatelle. Il faut le reconnaître, la Sepanie de 2015 est un voyage plus agréable que celui vécu par nos aînés qui ne bénéficiaient pas d’une recherche avancée sur le sujet. Le fait de passer aux cachets diminuait le caractère psychologique grave de la maladie. J’y pensais moins. L’angoisse de me piquer disparue en même temps que mon état grippal et j’avais l’impression de reprendre une vie normale. Pour autant, je ne rentrerai pas de mon voyage tant que je ne trouverai pas de billet retour.
Je ne marchais plus vraiment sur le trottoir mais dedans, un peu comme sur un trampoline.
Je continuais malgré tout à avoir des poussées. Les handicaps que je ressentais étaient totalement invisibles sauf quand je ne marchais pas très droit…peut-être m’a-t-on parfois prise pour une ivrogne tant mes pas pouvaient être chancelants de temps à autres. Je ne marchais plus vraiment sur le trottoir mais dedans, un peu comme sur un trampoline. Les escaliers du métro me donnaient la sensation de gravir une dune de sable, porter une pile d’assiette était un peu comme soulever un carton lourd de livres, écrire joliment plus compliqué, lire deux pages de suite m’épuisaient. J’ai paniqué à plusieurs reprises sentant bien que la vie m'échappait d'une certaine manière. Ce n’était pas tant les difficultés physiques qui m’inquiétaient car je savais que ces états étaient possiblement rémittents, mais le brouillard cognitif qui m’envahissait quotidiennement.
Je souhaitais reprendre mes études et mon projet était menacé. Je ne savais pas si je trouverai des universités en Sepanie. Pourtant, si je voulais construire des formations, il me fallait obtenir un diplôme en ingénierie pédagogique. En même temps, à quoi bon élaborer de tels projets si je suis incapable de lire deux pages de suite ? La route était sinueuse mais avait-elle une issue ? Et si y étais-je déjà, que perdrai-je à essayer ? L’envie de me battre ? Peut-être. Une chose est certaine, si je n’essaie pas, je ne saurai jamais. Et si je n’y arrive pas, j’aurai au moins essayé. « Si la quête est louable, l’échec est glorieux ». Ce bon Lao Tseu savait me conforter.
Si je remettais d'habitude volontiers mes projets au lendemain, la maladie m’offrait un autre point de vue : l’urgence de l’action, non pas parce que j’étais sure de vivre moins longtemps, mais parce qu’en obtenant des réussites, je rendrai mon voyage plus agréable et il convenait d’y apporter un peu d’aventure. Les réussites étaient comme des quêtes pour avancer sur un chemin semé d’embuches. Je n’avais pas à avoir peur de me dépasser, il me fallait tenter quelque chose et le bon moment n’arriverait sans doute jamais. Je m’accrochais au vieux Lao Tseu qui savait transmuter la peur de l’échec.
Je ne me doutais pas à ce moment là, qu’elle m’offrirait également une première clé pour emprunter d’autres routes.
En juillet 2015, décidée à croquer la vie en multipliant les expériences, je partais travailler à l’université de Bangkok accompagnée de mon conjoint qui partageait ma vie depuis un an. Je savais où je mettais les pieds puisque j’y avais déjà vécu pendant deux ans, à l’adolescence. Retrouver des chemins déjà connus en Sepanie paraissait sécurisant. L’idée d’y retourner était délectable tant pour l’expérience personnelle que professionnelle car il était certain qu’elle m’apporterait des compétences utiles pour la suite de ma carrière. Je ne me doutais pas à ce moment là, qu’elle m’offrirait également une première clé pour emprunter d’autres routes. Bien sur, j’eu du mal à quitter ma mère et mes amis et je me fis violence pour poursuivre mon chemin avec intuition. Je quittais Paris en pleine poussée de la maladie, un peu contre l’avis de mon neurologue. Émancipation.
La Thaïlande apaisa mes crises à plusieurs égards : Le soleil synthétise la vitamine D, essentielle au système immunitaire, la nourriture, plus végétale – tellement délicieuse – est moins inflammatoire qu’en occident, la culture du travail, plus apaisée et joyeuse ne connait pas le stress du management occidental. Ce fut un an et demi sans aucune poussée et une preuve pour moi que l'environnement m'était capital. Seule la pollution de la ville couplée à une chaleur humide me donnait la nausée au retour du travail.
Allant mieux, je repris une première année d’études à distance. Ce fut malgré tout difficile de conjuguer vie active et études le soir, étant tout de même fatiguée par une maladie en état de latence. Lire restait difficile, j’enregistrais mes cours sur dictaphone et les écoutais en boucle pour intégrer les contenus, ce fut une excellente trouvaille !
Je me souviendrai toujours de Philippe me demandant d’entrer en salle d’examen telle une reine portant une couronne sur la tête afin de visualiser la victoire.
Je quittais mon conjoint et rentrais de Thaïlande en décembre 2016. Je tombais amoureuse de Philippe dont la rencontre fut déterminante pour la suite de mon voyage en Sepanie. Mes premiers partiels eurent lieu à l’université de Caen en janvier 2017 : six heures de dissertation par jour pendant une semaine eurent raison de mon enthousiasme et je pleurais sur ma table d’examen en fin de journée. Je ne voyais plus ce que j’écrivais, incapable de réfléchir, j’étais épuisée. Je n’avais pas demandé de tiers-temps supplémentaire auquel j’aurai pu avoir droit. J’arrivais donc à un point de rupture qui me ferait basculer de la quête à l’échec ou à la réussite. Je vécu des moments de dépassement de soi intenses décuplant mes forces pour terminer mes examens.
Je me souviendrai toujours de Philippe me demandant d’entrer en salle d’examen telle une reine portant une couronne sur la tête afin de visualiser la victoire. Il ne savait pas à cette époque, à quel point il me renforçait et me donnait une clé capitale de mon voyage : la visualisation positive. Je porte donc souvent une couronne invisible sur la tête lorsque mon état requiert du courage, aussi dois-je avoir l'air d'une pimbêche ! Néanmoins sure de moi, j’obtenu mes partiels avec de belles notes et dans le même temps, une superbe confiance en l’avenir.
Je compris que s’accrocher en valait la peine, première leçon. Je compris surtout que rien n’était perdu tant que le voyage n’était pas terminé, deuxième leçon.
Philippe me donnerait une autre clé, en me tendant un livre d’Emilie et Julien Venesson (2016). Voici le pitch du livre : « Touchée par la SEP à l'âge de 23 ans, Émilie est résignée à marcher avec une canne et endurer les handicaps de la maladie quand elle rencontre Julien Venesson, journaliste scientifique spécialiste de nutrition. Il se penche sur la biologie de la SEP, se plonge dans la littérature scientifique et de là conçoit un régime riche en vitamines, minéraux, acides gras essentiels, exempt des facteurs nutritionnels qui favorisent l'auto-immunité. Peu à peu l'état d'Émilie s'améliore. L'auto-immunité et l'inflammation diminuent. Les poussées s'espacent et finissent par disparaître. Aujourd'hui, à 34 ans, elle n'a plus de séquelles, plus de trace de handicap, sa vie est redevenue normale ».
Si d’autres personnes étaient en Sepanie, elles avaient pris d’autres chemins et certaines avaient exploré des sentiers non balisés. J’allais suivre leurs traces.
Je savais que je n’étais pas seule en Sepanie mais je n’ai jamais souhaité rencontré d’autres autochtones de peur de me miner le moral, ni de tenir un journal de bord ne souhaitant pas y penser régulièrement. Certes, si d’autres personnes évoluaient sur le même territoire, elles avaient pris d’autres chemins et certaines avaient exploré des sentiers non balisés. J’allais suivre leurs traces.
Mes recherches pour aller mieux débutaient alors. Ça y est, j’y étais enfin rentrée, mon voyage d’introspection passait à une vitesse supérieure : l’action.
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